06.03.2014 à 14h15 | Par Marie-Luce Mariani (Chercheurse à l'ISAD)
Le 26 février dernier, avec un peu d'avance pour cause d'élections municipales, le Parlement s'est prononcé sur la prolongation de l'opération Sangaris en RCA. Après Harmattan en Libye, Serval au Mali et dans un laps de temps relativement bref, quatre ans seulement, le gouvernement s'est donc pour la troisième fois plié à la procédure de l'article 35 de la Constitution. En effet, lorsque des troupes françaises sont engagées à l'étranger (OPEX) depuis plus de quatre mois, le gouvernement est contraint de demander son autorisation au Parlement pour pouvoir poursuivre l'intervention. À l'Assemblée comme au Sénat une majorité écrasante, rapidement qualifiée d'union sacrée, s'est donc dégagée en faveur de cette prolongation. Pourtant, le résultat du vote contraste fortement avec les critiques virulentes entendues au cours des débats au cours desquels les parlementaires n'ont pas caché leur irritation, voire leur exaspération. Ils ont notamment vivement exprimé leur insatisfaction devant un mécanisme constitutionnel qui les conduit inexorablement à devoir apporter leur soutien inconditionnel au gouvernement. LE PIÈGE DE L'ARTICLE 35 Issu de la loi constitutionnelle dite de « Modernisation des institutions de la Vème République » destinée à rééquilibrer les pouvoirs respectifs de l'exécutif et du législatif, le nouvel article 35 de la Constitution devait renforcer les capacités de contrôle du Parlement sur l'action gouvernementale. En établissant un calendrier institutionnel calqué sur la durée d'une opération militaire entreprise à l'étranger par le gouvernement, il devait répondre au besoin d'information des parlementaires et redonner du pouvoir aux assemblées. Initialement prévu pour la déclaration de guerre, l'article 35 s'applique désormais lorsque le gouvernement décide de « faire intervenir les forces armées à l'étranger ». Dans un premier temps, l'hypothèse envisagée par le texte est manifestement celle d'une intervention dictée par l'urgence et de courte durée. Une obligation d'information est alors mise à la charge du gouvernement. Il dispose de trois jours à compter du début de l'intervention pour informer le Parlement de l'intervention et lui en exposer les objectifs poursuivis. Le gouvernement informe le Parlement. Il ne le consulte pas. En conséquence, l'organisation d'un débat n'est pas obligatoire et, s'il a lieu, il n'est pas suivi d'un vote. Dans un deuxième temps seulement, lorsque le conflit s'installe, ou risque de s'installer, dans la durée, la seule information ne suffit plus. Si les actions se poursuivent au-delà de trois jours mais moins de quatre mois depuis le déclenchement de l'intervention, l'urgence a disparu. Les circonstances poussent à redonner au Parlement un pouvoir de décision, une responsabilité, dont elles l'avaient privé plus haut. Un débat suivi d'un vote doit être organisé. UN PACTE OBLIGATOIRE DE SOLIDARITÉ AVEC LE GOUVERNEMENT En fin de compte, bien que la guerre figure dans le code de la défense au titre des régimes juridiques de défense d'application exceptionnelle et que le Parlement demeure compétent pour autoriser la déclaration de guerre, ce pouvoir est largement théorique, aujourd'hui. De la même façon, dans son contrôle de l'action gouvernementale sur un sujet aussi sensible que l'envoi des troupes en opération à l'étranger, il se trouve placé devant le fait accompli. Il est contraint à un pacte obligatoire de solidarité d'abord avec nos forces, mais aussi, par voie de conséquence avec le gouvernement, et, donc, avec le chef de l'État, chef des armées. Il est évident, les débats le démontrent amplement, que la décision de prolonger les opérations est nécessairement influencée par le fait que des soldats français combattent toujours sur le terrain. De ce point de vue, le jeu de l'article 35, désormais appelé à s'appliquer très régulièrement, conduira toujours nécessairement et mécaniquement à un vote positif de prolongation. UN RÉGIME JURIDIQUE AUTONOME POUR LES OPEX Au-delà de la seule opération Sangaris, la combinaison des dispositions constitutionnelles, de la nouvelle loi de programmation militaire et des dispositions déjà inscrites dans le code de la défense, conduit indiscutablement à l'émergence d'un régime juridique autonome propre aux OPEX dans le droit français. Du point de vue du travail parlementaire, il se caractérise par la mise en place de missions d'information et l'organisation d'un débat annuel portant sur les interventions en cours. C'est un droit à l'information qui est reconnu au Parlement et non un pouvoir de décision. Sur ce point la frustration des parlementaires se heurtera également au principe de l'article L 1111-2 du code de la défense qui prévoit expressément de confier la direction de la « défense » au pouvoir exécutif. En outre, en substituant la notion de « stratégie de sécurité nationale » à celle, plus traditionnelle, de « défense nationale » l'article L 1111-1 nouveau du code de la défense ouvre la voie à un usage de la force armée qui ne serait plus fondé sur de l'idée de protection du territoire national ou de la protection de la vie de la population française. Le droit français de la défense fournit ainsi au gouvernement une légitimité politique et une sécurité juridique quant aux OPEX qui lui ont été vivement contestées le 26 février au soir. Marie-Luce Mariani (Chercheurse à l'ISAD)